Article du Ouest France du 27 mai 2020
Les raies brunettes passent et repassent le barrage de la Rance. Les anguilles l’évitent. Des constats effectués par des chercheurs de la station marine du Muséum d’histoire naturelle.
Thomas Trancart, chef de projet au Muséum d’histoire naturelle, mène des études sur les raies et les anguilles dans l’estuaire de la Rance. Ici à l’arrivée d’une équipe qui a récupéré des hydrophones remplis de données sur les déplacements des espèces
Une équipe constituée de deux plongeurs et d’un pilote de canot pneumatique a ramené à terre, vendredi 22 mai, les cinq derniers des 50 hydrophones immergés en mai 2019 des deux côtés du barrage de la Rance.
Pendant un an, ces récepteurs acoustiques de la taille d’une bouteille et d’un coût de 2 000 € pièce ont enregistré quantité de données sur les déplacements des raies brunettes et des anguilles.
« Pour réaliser cette étude, nous avons équipé d’un petit émetteur à ultrasons 40 raies brunettes, explique Thomas Trancart, chef de projet à la station marine du Muséum d’histoire naturelle de Dinard. Nous avons choisi des juvéniles de 2-3 ans, d’une taille d’environ 40 cm, ainsi que des adultes mâles et femelles de 80 cm à 1 m. »
Bonne et mauvaise surprise
Cette étude a été réalisée pour comprendre où sont et ou vont les raies et dans quels sites elles se reproduisent. Quand on sait que les femelles ne peuvent féconder avant leur neuvième année, on a intérêt à analyser leur mode de vie pour préserver l’espèce.
« Sur les 40 émetteurs disposés sur les raies, tous ont émis. C’est une bonne surprise, se réjouit Thomas Trancart. On a découvert que des raies passaient le barrage par les turbines de 8 m de haut et qu’elles revenaient sans encombre. »
Ces mesures ont été possibles grâce aux 50 hydrophones placés de part et d’autre du barrage, attachés à des corps-morts confectionnés par l’équipe de recherche, à des profondeurs de 3 m à 20 m. Ils constituaient huit barrières : deux, côté mer, et six, côté Rance.
Sollicités par EDF, les chercheurs du Muséum ont profité de la présence des capteurs pour équiper d’émetteurs, à l’automne 2019, 30 anguilles pêchées par un chalutier scientifique puis relâchées à une vingtaine de kilomètres du barrage, du côté de Saint-Samson.
Étude en cours
« Les relevés nous ont étonnés, raconte le scientifique, seulement un tiers des anguilles ont franchi le barrage. Or, toutes étaient censées repartir vers la mer des Sargasses, à quelque 7 000 km d’ici pour se reproduire en février-mars ! »
Les chercheurs n’ont pas noté une mortalité notoire au niveau du barrage. Il leur reste à déterminer pourquoi la majorité des anguilles restent en Rance et sont en quelque sorte déboussolées.,
L’étude n’est pas terminée. Sept capteurs ont été laissés en place pour détecter si les spécimens, raies et anguilles, équipés d’émetteurs restent dans l’estuaire.
CRESCO/ MUSEUM NATIONAL D'HISTOIRE NATUELLE/ STATION MARINE DE DINARD
Etude des habitats fonctionnels et micro-déplacements des raies brunettes dans l’estuaire de la Rance
Thomas Trancart (MNHN)1,2
1 Museum National d’Histoire Naturelle, Station Marine de Dinard, Centre de Recherche et d’Enseignement sur les Ecosystèmes Côtiers (CRESCO), 38 rue du port Blanc, 35800 Dinard, France
2 BOREA (Biologie des Organismes et Ecosystèmes Aquatiques), MNHN, CNRS, Sorbonne Université, IRD, UCN, UA
La raie brunette Raja undulata est une espèce d’élasmobranches classiquement observée dans les eaux territoriales françaises. Facilement reconnaissable grâce à ses marques en formes d’ondulation sur les ailes, cette espèce est pourtant l’une des raies les moins étudiées. Cette espèce peut montrer certains facteurs de vulnérabilité, comme des distributions spatiales hétérogènes avec des noyaux de fortes abondances, un comportement d’évitement qui la rend très vulnérable aux méthodes de pêches démersales et une maturité sexuelle tardive. Toutes ces raisons ont poussé l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) à inscrire la raie brunette en 2009 sur la liste rouge des espèces en danger.
L’identification des habitats utilisés par les raies brunettes, et la mise en évidence de leurs fonctions apparait alors comme l’un des éléments clés de la conservation de cette espèce.
Un suivi individuel en télémétrie acoustique des raies brunettes a été mis en place depuis le printemps 2019 dans l’estuaire de la Rance. Des individus ont été capturés, marqués avec une marque individuelle qui émet un ultrason puis relâchés dans l’estuaire. Leurs comportements et leurs déplacements sont ensuite capturés et enregistrés par des microphones sous-marins qui écoutent et enregistrent ces ultrasons. L’analyse de ces déplacements donnera alors de précieuses informations biologiques sur cette espèce emblématique.
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